M. Colloghan

samedi 22 juin 2013

« La transition énergétique : quelles énergies pour répondre à quels besoins, sous le contrôle de qui ? »

Intervention dans l'atelier "Transition énergétique" de Richard Neuville* pour Les Alternatifs aux Journées d’étude de la Gauche Anticapitaliste les 25 et 26 mai 2013 : L’écosocialisme

Dans le temps imparti, je limiterai mon propos à deux aspects :
1. La place singulière du nucléaire en France ;
2. Les enjeux et les défis démocratiques de la transition énergétique.

Mais tout d’abord, je préciserai que, pour les Alternatifs, la transition énergétique est indissociable de la transition écologique et du projet de société que nous souhaitons construire, donc dans une perspective de rupture avec le capitalisme et le productivisme.


1. La place singulière du nucléaire en France
La France possède le nombre le plus élevé au monde de réacteurs nucléaires par habitant (58 réacteurs) et sa consommation d’énergie reste dépendante des énergies fossiles à près de 75 %. Le nucléaire produit 78 % de l’électricité.

Comment en est-on arrivé là ?

Le mouvement antinucléaire français -malgré quelques luttes héroïques- a subi une défaite historique, seulement atténuée par le succès de la lutte de Plogoff, lieu de contestation de masse. Il ne s’en est jamais vraiment remis, contrairement à ses homologues allemand et suisse.

A partir de 97, l’institutionnalisation des Verts -et particulièrement leur entrée au gouvernement- aura un rôle démobilisateur pour les mouvements et les contestations écologiques. Alors que la ministre Voynet capitule devant le lobby nucléaire sur le MOX, l’enfouissement des déchets radioactifs à Bure et les lignes à haute tension, elle demande à des experts d’élaborer un scenario de transition énergétique, qui allait préfigurer Negawatt. Mais au-delà de son intérêt, sa genèse est bel et bien un substitut au renoncement à un arrêt rapide du nucléaire en France.

Je rappellerai également que huit jours après la catastrophe de Fukushima de mars 2011, un « appel solennel » est lancé par 68 organisations (dont une douzaine de partis politiques) pour demander au gouvernement français de renoncer aux projets électronucléaires (EPR, ITER, Bure, etc.) et à l’exploitation des réacteurs ayant atteint ou dépassé plus de 30 ans, ce qui signifiait la fermeture immédiate de 21 réacteurs et de 21 autres d’ici mi-2017, soit près des 2/3 en 6 ans. Or, aucune campagne n’a été engagée. Le Réseau Sortir du Nucléaire y a renoncé mais les organisations signataires n’ont pas fait vivre cet appel. Certaines n’ont même pas publié cet appel sur leur site ou dans leur revue… Il y a là une responsabilité collective énorme, qui nous incombe tous.

En France, le nucléaire a pu se développer et s’imposer auprès de la population dans le cadre de la pensée unique de la puissance technocratique car le programme a réellement été engagé à la fin des Trente glorieuses, après la phase de reconstruction au cours duquel l’Etat très centralisé avait démontré sa capacité à doter le pays de grandes infrastructures et réorganiser la production.

Or, le Plan Messmer a été décidé sans aucune concertation et dans la plus grande opacité, sans même un débat au Parlement (ce qui est inimaginable en Allemagne ou en Suisse). Le développement du nucléaire civil est intimement lié au nucléaire militaire résultant des orientations géostratégiques de l’après-guerre et la création du Commissariat à l’énergie atomique.

La France est tributaire aujourd’hui des choix historiques et de la faiblesse du mouvement antinucléaire. Néanmoins, les Alternatifs pensent que la transition énergétique passe par l’arrêt du nucléaire compte tenu notamment d’un taux de probabilité d’accident élevé. Arrêt, car la sortie ne suffira pas et nous devrons continuer à gérer ce lourd héritage avec le retraitement et le stockage des déchets pendant des décennies, voire des siècles.

Pendant la phase transitoire, si la France décidait d’arrêter le nucléaire, elle aurait besoin d’énergies fossiles (gaz, charbon). Les énergies fossiles représenteraient 30 % de la production d’électricité si on souhaitait arrêter le nucléaire en 10 ans. C’est pourquoi des mesures devraient être prises dans les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre : les transports, le bâtiment et l’agriculture intensive.
- Limiter l'usage abusif des engrais dans l'agriculture,
- Limiter la consommation d’essence des véhicules privés,
- Réduire de 10 km/h la vitesse sur les autoroutes.

Pour engager la transition énergétique, il est donc nécessaire :
- d’engager des crédits importants dans la recherche sur les énergies renouvelables en commençant par réaffecter ceux consacrés au nucléaire et à ITER.
- de développer un mix énergétique (hydraulique, solaire, éolien, biomasse, géothermie, etc.) à grande échelle qui permettrait de produire autant que 25 réacteurs nucléaires en 10 ans.

- d’économiser l’énergie en mettant un frein aux gaspillages. Grâce aux seules économies d’énergie, 23 réacteurs nucléaires pourraient être arrêtés sur 10 ans[1].

Mais l’efficacité (réduction des gaspillages, meilleures technologies, etc.) ne suffira pas, il faudra la conjuguer avec la sobriété en réduisant -selon Daniel Tanuro[2]- la demande finale d’énergie de moitié environ dans l’Union européenne. Nos organisations politiques doivent engager sans plus tarder une réflexion sérieuse sur la forme que la sobriété devra prendre dans notre société, surtout pour atténuer les effets sociaux.

2. Les enjeux et les défis démocratiques de la transition énergétiques
L’enjeu de la transition dépasse largement nos frontières et concerne l’ensemble de la planète. Il nous faut donc résonner à cette échelle. L’exploitation fossile a explosé avec le développement du capitalisme (elle représente 90 % des sources d’énergie) et l’accaparement des ressources génèrent de nombreux conflits. Le nucléaire ne représente que 2 % de la production mondiale.

Les enjeux géostratégiques sont énormes. Ils supposent de repenser les rapports entre les états et d’engager une redistribution mondiale en revoyant les échanges et en premier lieu en réduisant les transports. Pour répondre aux enjeux climatiques aux horizons 2020 et 2050, un changement radical de notre système énergétique s’impose, il devra respecter un équilibre Nord-Sud et garantir la justice sociale.

Ce changement implique :
•          Une réduction importante de la consommation en énergie des pays du Nord et l’arrêt du nucléaire en France. Ce postulat remet en cause les logiques capitaliste et productiviste.

•          Une décroissance de la production matérielle et des transports, une dé-consommation, pour le dire autrement une « décontamination au productivisme », une souveraineté alimentaire au niveau des états et un renforcement des luttes contre les grands projets inutiles et imposés (GPII).

•          Une contestation de la logique du « capitalisme vert », qui n’est pas en mesure de répondre aux enjeux énergétiques et écologiques. Les mesures techniques -dites d’efficacité- qui représentent 70 % dans le scénario Negawatt favorisent notamment les profits des multinationales. L’urgence écologique impose la mise en œuvre de solutions reposant sur le choix de techniques appropriables, renouvelables et durables, de même qu’une production décentralisée et diversifiée.

•          Une articulation entre une démocratie économique et sociale, -qui exclut la production et la distribution de l’énergie de la sphère du marché et du profit- et une démocratie active articulant une forme représentative et des processus de démocratie directe (budgets participatifs, instances de décisions citoyennes), qui pourrait se concrétiser dans le cadre d’une « planification démocratique écologique ».

Le défi est donc bien de conjuguer la « démocratie réelle » et la justice sociale.

La transition écologique et énergétique implique :
- une articulation entre les niveaux national et local en termes de production et de distribution d’énergie : entre un service public national (pôle public de l’énergie) et des instances locales : régies publiques contrôlées par les citoyen-ne-s et les travailleur-se-s et des coopératives (SCIC). La loi Energie de 2002, dite Cochet, a dérégulé la production de l’électricité et favorisé les profits, elle doit être révisée ;

- une prise en compte des besoins sociaux (accès à l’eau et à l’énergie pour toutes et tous) et la mise en œuvre d’une péréquation indispensable entre les niveaux national et local incluant la gratuité des premières tranches et des tarifications progressives ;

- une convergence des luttes sociales et écologiques pour peser sur les orientations politiques à un niveau macro, les luttes accélèrent la prise de conscience, à titre d’exemple : celle, massive contre l’exploration et l’exploitation des gaz et huiles de schiste en Ardèche méridionale débouche sur une réflexion citoyenne d’ampleur sur la transition énergétique ;

La transition écologique et énergétique implique d’engager :
- des campagnes pour valoriser les gisements d’emplois que représente la transition écologique, articulées avec la revendication de la réduction du temps de travail. Selon une étude récente conduite par Philippe Quirion[3] , sur l’effet sur l’emploi de la mise en œuvre du scénario Negawatt, les créations d’emplois nettes iraient de 220 000 à 330 000 en 2020 et de 570 000 à 820 000 en 2030. Seulement 7 ans après avoir décidé de sortir du nucléaire, l’Allemagne comptait 235 000 emplois permanents dans le secteur des énergies renouvelables.

- une reconversion écologique de l’industrie (automobile, agroalimentaire, sortie du nucléaire, etc.) et une relocalisation des activités avec de petites unités de production ;

- l’élaboration de contre-plans alternatifs associant les travailleurs-ses, les syndicats les associations et les citoyen-ne-s afin de garantir les droits sociaux et le respect de la nature tout intégrant de nouveaux rapports de production et de nouvelles organisations du travail ;

- des réflexions citoyennes au niveau des territoires permettant de mutualiser les « intelligences » et de développer des alternatives concrètes innovantes. Des coordinations locales entre les coopératives de production et des instances politiques participatives permettraient d’y parvenir.  Les territoires en transition, les commissions extra-municipales, les initiatives citoyennes se développent déjà un peu partout car les citoyen-ne-s saisissent parfaitement les enjeux et sont suffisamment éduqué-e-s pour être force de propositions et d’initiatives.

- une valorisation des terrains d’expérimentations (agriculture, auto-construction, productions coopératives d’énergie renouvelables, etc.).

La perspective autogestionnaire -que nous défendons- pose les questions de la propriété, du financement, des modes de gestion et de la composition des instances de gestion des services publics, ce qui peut se résumer par la nécessité impérieuse de « démocratiser radicalement la démocratie »[4].

En conclusion, une nouvelle politique énergétique implique évidemment la remise en cause des modes de production, la sortie de la logique productiviste et la relocalisation d’une partie de l’économie pour réduire de manière substantielle le transport de marchandises, extrêmement énergivore, ainsi qu’une reconversion écologique de l’industrie.

* Militant engagé dans la lutte contre le gaz de schiste et le forum sur la transition écologique et énergétique en Ardèche.


1. Nucléaire Non merci, « Quelles alternatives au nucléaire », consultable sur : http://nucleairenonmerci.net/actualite/alternatives-au-nucleaire.html
[2] Daniel Tanuro, “A propos du « Manifeste écosocialiste » du Parti de gauche », 13 mars 2013. Consultable sur : http://www.npa2009.org/node/36068
[3] Philippe Quirion, chargé de recherche au CIRED CNRS "L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France" (Avril 2013)
[4] Richard Neuville, « Les défis démocratiques de la transition énergétique », Mars 2013. Consultable sur : http://alterautogestion.blogspot.fr/2013/03/transition-energetique-les-defis.html

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