M. Colloghan

dimanche 20 mai 2012

Pour faire un humain, il faut des humains


Par Didier Epsztajn


« Ce que je tente ici est une triple mise en relation : entre notre préhistoire humaine et ce que furent nos ressources profondes pour affronter chaque nouveau défi ; entre ces ressources originelles et ce que nous savons aujourd’hui de nos capacités cérébrales, notamment d’apprentissage et de changements volontaires ; entre ces dernières et nos chances d’un changement de société, d’une transformation de civilisation »

Prendre pour appui, pour regarder le futur, sur la plasticité du cerveau à la naissance, n’est pas une démarche habituelle. Le sens est celui du possible permis par la structure et le potentiel, individuel ici, collectif là. Il faut cependant se garder de prendre une analogie pour une similitude. Si les organisations sociales inventées par les humains, dans des cadres toujours contraints, sont très variées, très plastiques, elles relèvent, non de la « nature », mais de l’organisation conflictuelle, et à un certain moment de l’histoire, du « politique ». Je pense que l’auteur partagerait cette façon de voir.


Deux grandes parties : « L’acquis et le potentiel » et « Impasses, défis, issues »

Je m’attarderais plutôt sur la première partie, en liaison avec ce que j’ai écris ci-dessus.

Premièrement la diversité. Contrairement à une lecture réductrice, notre ADN, nos gènes permettent une multitude de combinaison et au gré des reproductions sexuées une très grande diversité des individu-e-s « L’hominisation a une constante et une caractéristique : la prolifération de la diversité humaine ». Gilbert Dalgalian utilise le néologisme glosso-diversité, « L’idée de ce néologisme est doublement fondée : la glosso-diversité se différencie de la biodiversité par son domaine et ses caractéristiques, mais elle en est aussi la continuation directe – sous des formes nouvelles – chez l’humain ».

Cette diversité explique, en partie, la multiplicité des formes sociales crées pour répondre à des environnements variés, en termes de lieux, des conditions climatiques, d’évolutions plus ou moins rapides, sans oublier des divisions sociales liées au partage/accaparement des richesses, des imaginaires sociaux, comme des croyances, etc… L’histoire est toujours ouverte, les déterminismes ne sont pas réductibles à une causalité directe et n’entraînent aucune prédictibilité. Ce qui est vrai pour le passé, l’est de même, pour le futur : la marchandise et le capitalisme ne sont pas un horizon indépassable.

Deuxièmement la solidarité. Comme le dit Albert Jacquard, cité par l’auteur « Pour faire un homme, il faut des hommes », donc des interactions, de la solidarité. Solidarité entre « mêmes » différents. « Le respect de nos diversités est le test de nos solidarités ».

Donc diversités à accepter, diversités à préserver, diversités à « diversifier », encore faut-il traiter les un-e-s et les autres comme des égales/égaux. Ou pour le dire comme l’auteur : « Pour parler vrai, la révision de nos repères et la réforme de nos mentalités exigent la reconnaissance de ce qui a fait de nous des humains : la diversité, le métissage et la créativité croissante, jusque dans les formes d’organisation sociale, à toutes les époques de l’hominisation ».

Revenons aux gènes et à l’ADN, structurant, non l’être, mais le potentiel de l’être, en « interaction complexe et permanente avec l’environnement naturel et social ». Le débat, pseudo-scientifique, entre l’inné et l’acquis n’a de sens que pour les réducteurs de vie.

« L’inné » c’est à peu près 100 milliards de neurones à la naissance et les « potentialités neuronales », « l’acquis » c’est la construction de chaque cerveau par expérimentation incessante. Expérimentations, apprentissages, inséparables du partage avec d’autres humains.

L’auteur analyse, en particulier, le développement autour de la langue, dans le « bain linguistique », par « approximation optimisantes ». Sur l’ADN, voir aussi le joli dossier « corps & âme » dans le numéro 24, mai 2012, de Causette.

La construction de l’auteur est rigoureuse et abordable par la/le non-scientifique et approche de nombreuses questions. Sur l’oralité, je rappelle le livre de Jean Pierre Terrail : De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences (Editions La Dispute, Paris 2009) Ne pas accepter de ne pas comprendre, ne pas accepter de ne pas se faire comprendre. Sur le rôle de l’erreur dans tout apprentissage et plus généralement sur la nécessaire réforme de l’école, que l’auteur abordera en début de la deuxième partie, GRDS : L’école commune. Propositions pour une refonte du système éducatif(Editions La dispute, Paris 2012) Tous les enfants disposent des ressources nécessaires à une entrée réussie dans la culture écrite

Pour poursuivre sur la langue, Gilbert Dalgalian montre l’apport du plurilinguisme pour le développement de l’enfant et fait le lien avec la glosso-diversité « Bilinguisme et plurilinguisme sont les seules voies effectives de sauvegarde de notre glosso-diversité », j’ajouterais contre l’arasement littéral de l’anglais américain et la négation des langues « régionales ».

Pour terminer cette partie, je voudrais souligner les conséquences de l’immaturité du bébé humain à sa naissance, que l’auteur analyse largement « Notre immaturité à la naissance nous a – depuis cette mutation fondatrice – ouvert le plus vaste champ des potentialités d’acquisitions, d’apprentissages et d’inventions, que seule la combinaison unique d’un cerveau inachevé – mais bien doté – avec une très longue épigenèse aura fait surgir dans le règne du vivant ».

La seconde partie de l’ouvrage part de la transmission intergénérationnelle, du désir et de la curiosité, pour critiquer « le formatage techniciste et un calibrage norminatif » des apprentissages. L’auteur fait des propositions autour de l’école.

Il analyse de manière très critique l’ensemble du fonctionnement de nos sociétés, et formule des pistes autour de la révision des finalités, en insistant particulièrement sur la démocratie et l’autogestion. Sur ce dernier point Coordination Lucien Collonges (collectif) : Autogestion hier, aujourd’hui, demain (Editions Syllepse, Paris 2011) Ce qui auparavant paraissait souvent impossible souvent s’avère très réaliste

Si je partage de nombreux points avec l’auteur, d’autres devraient être approfondis ou complétés, cela relève de l’échange nécessaire, de la confrontation des points de vue et du débat politique.

Un livre, dont la première partie m’a plus séduit que la critique, certes juste, de ce capitalisme à l’agonie. Les thématiques de la démocratie et de l’autogestion devraient être au centre d’une alternative crédible et majoritaire à notre système monde. Alternative permise par nos potentiels individuels et collectifs. En un sens, contre la fin de l’histoire, le repli nationalitaire, la haine des Autres, ou la survalorisation mythique d’un soi exceptionnel, le futur de l’Homo Sapiens n’est pas contraint par son ADN, ses gènes, le marché et ses histoires passées.

« Plus nous sommes instruits et cultivés – c’est-à-dire peu effleurés par nos propres ignorances – plus nous nous différencions jusqu’au clivage, lequel finit par devenir improductif et arrogant ! »

Gilbert Dalgalian : Capitalisme à l’agonie
Quel avenir pour homo sapiens ?
L’Harmattan, Paris 2012, 170 pages, 16,50 euros

Didier Epsztajn

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